Cousteau

D’abord officier de marine avant de sombrer dans l’océanographie, Jacques-Yves Cousteau mit au point en 1933, avec l’ingénieur Gagnan, un scaphandre autonome dont la conception révolutionnairement novatrice résidait dans un mécanisme de régulation des gaz respiratoires par clapet de blocage à crans décalés. L’idée leur en était venue alors que, effectuant leur service militaire sur la frégate La Palourde fétide, ils furent témoins de la chute d’un mousse éjecté de la vigie après que le navire eut accidentellement heurté le dos d’un cachalot qui somnolait entre deux eaux. S’ensuivit un enchainement grotesque de rebonds et de ricochets dans les divers cordages encombrant bêtement les mâts, qui connut un brutal arrêt lorsque le pauvre garçon, lourdement estourbi par des chocs répétés à l’occiput, toucha la surface liquide avec une violence inattendue dont l’accompagnement sonore évoquait l’arrivée précipitée d’une enclume au fond d’un puits. « Au segloub… je ne sais pas nagloub ! » hurlait le malheureux que la température plutôt basse de l’eau avait subitement sorti de son coma passager. Cousteau et Gagnan s’étaient alors rapprochés du bastingage, de ce pas nonchalant propres aux marins bretons, fatalistes et endurcis comme les menhirs de leur terre natale, et en avaient atteint le bord juste à temps pour voir le cachalot, rendu fou furieux par la pichenette que lui avait administré le navire, couper le mousse en deux parties inégales à l’aide de sa super impressionnante dentition. Cousteau, son pas-encore-célèbre bonnet rouge vissé sur son pas-encore-blanc crâne, avait regardé la moitié de corps lacéré, où s’accrochaient encore, bien qu’assez fébrilement, deux bras sanguinolents et une tête tuméfiée, dériver au creux des vagues, puis avait lâché entre ses dents un « Ouaip ! » laconique auquel Gagnan avait répondu par un furtif haussement de sourcils accompagné d’une grimace buccale assez typique du connaisseur de massacrages, capable de reconnaître du premier coup d’œil un massarage de première classe là où le vulgum pecus ne voit souvent qu’un vulgaire spectacle à vous glacer le sang. Quelques années plus tard donc, les deux amis, se souvenant de ce navrant épisode, eurent l’idée de leur scaphandre dont l’invention rapporta un tel pactole à Jacques-Yves qu’il put se payer un rafiot, aussi sec baptisé La Calypso, avec lequel il se lança dans une folle exploration océanique de la planète, n’hésitant que très rarement à emmerder les mérous pendant la sieste et insistant lourdement pour que les crabes prononcent ouistiti twist au moment où il s’apprêtait à les photographier. Invention qui, tout naturellement, prit le nom de Cousteau à cran d’arrêt.