Darwin

Un soir de profonde déprime, Charles Darwin, le célèbre naturaliste anglais, de passage à Paris, se tenait la tête entre les mains et pleurnichait au coin du feu en se demandant si, oui ou non, l’homme descendait du singe. Un visiteur des plus étranges fit alors irruption dans la pièce. C’était un homme d’une extraordinaire laideur, dont les rides profondes couvraient un visage à la peau brûlée par le soleil, entouré de cheveux aussi rares qu’épais. Son corps massif était vouté, presque tordu, et il semblait vouloir en cacher la difformité sous une longue cape noire dont ses mains ne sortaient même pas. « Le doute vous taraude n’est-ce pas ? dit le mystérieux visiteur sans prendre la peine ni de se présenter ni de s’asseoir. Ne cherchez pas trop loin la réponse à une question qui n’est peut-être que l’arbre qui cache la forêt. Vous voulez savoir si le singe est le grand père de l’homme ? Je suis en mesure de vous donner une réponse. J’ai en effet dans ma famille de très lointains aïeuls qui, il y a de cela fort fort longtemps, ont bien connus le singe auquel vous pensez. Ce n’est pas le grand père de l’homme, soyez en certain monsieur Darwin. Tout au plus un cousin par alliance de sa belle-sœur, une certaine Martine. » Abasourdi par cette incroyable révélation, Darwin resta un moment muet et hébété. Lorsqu’il recouvra ses esprits en même temps que l’usage de la parole, mille questions lui brûlaient les lèvres mais avant qu’il ait pu en formuler une seule, son interlocuteur se détourna prestement et disparut par où il était venu. Epuisé par tant d’émotions, Darwin s’endormit dans son fauteuil et, lorsque le lendemain matin, le feu s’étant éteint dans la cheminée, le froid le tira de son sommeil, il se demanda s’il avait rêvé. Quoi qu’il en soit, songe ou réalité, cette aventure l’encouragea à reprendre la rédaction du livre qu’il était sur le point d’abandonner. Dix jours et dix nuits, il resta penché sur sa table de travail, noircissant inlassablement de sa petite écriture ronde des centaines de feuillets, insouciant du monde extérieur, ignorant même qu’à quelques rues de là, un certain Dupin allait découvrir l’auteur d’un double assassinat perpétré peu de temps auparavant dans une maison de la rue Morgue, et que ce criminel ressemblerait étrangement à son énigmatique visiteur nocturne.