Mickey Mouse

Star internationale du cinématographe dans les années 20 et 30, Mickey Mouse, sans aucun doute la souris la plus riche du monde entier, n’hésitait que rarement à étaler sa fortune colossale sous les yeux des miséreuses musaraignes minables qui se traînaient à ses pattes dans l’espoir insensé de devenir l’ombre de son ombre, l’ombre de ses vibrisses, l’ombre de son chat. Château en gruyère, Cadillac en gouda, yacht en cheddar, l’insolence ostentatoire avec laquelle l’arrogant rongeur s’abandonnait à tous les excès ne lui valait pourtant pas, loin s’en faut, que des amis. Nombreux furent-ils ainsi à sabrer le champagne lorsque, la vedette aux grandes oreilles se montrant incapable de négocier le grand virage du cinéma parlant, les rumeurs de sa lente mais inexorable déchéance commencèrent à pointer leur vilain nez entre les lignes de sournois entrefilets rédigés pour la presse à scandale par de fielleux journalistes avides de scoop crapoteux mêlant, avec une égale virulence, vitriol et calomnie. Parce qu’il ne supportait pas ses pathétiques prestations vocales réduites à de suraigus couinements, il est vrai, particulièrement déplaisants, le grand public n’était plus disposé à feindre d’ignorer la vie dissolue de leur héros d’antan et, cédant à son impitoyable versatilité, le bouda aussi vigoureusement qu’il l’avait acclamé, et, tout aussi promptement, Mickey Mouse fut mis au banc de ces mêmes studios qui, la veille encore, lui faisaient des ponts de meule d’or. Naguère excessivement admirée, adulée, convoitée, enviée ; aujourd’hui subitement négligée, honnie, délaissée, méprisée ; n’ayant bientôt pour seuls amis que la drogue et l’alcool, l’idole déchue, de renoncements aigres en amères déchéances, fut inexorablement emportée dans la fatale spirale de la loose, jusqu’aux tréfonds de l’absolue décrépitude. Au matin du 14 juillet 1953, la police de Floride retrouva, dans un hôtel sordide des bas quartiers de Miami, le corps atrocement grignoté de Minnie, la compagne de toujours. Le meurtrier, quant à lui, restera introuvable pendant plus de cinquante années jusqu’à ce que les agents du FBI, alertés par des touristes hollandais qui avaient reconnu l’ex-vedette paisiblement attablée dans un drugstore de Santa Cruz, finissent par l’interpeller au moment précis où, selon certains témoins horrifiés, Mickey Mouse s’apprêtait à manger des frites avec Méphistophélès, en personne.