Newton

L’anecdote est fameuse, on la connaît par cœur. Un jour qu’il somnolait mollement dans son jardin, le physicien anglais Isaac Newton reçu sur la tête une pomme qui, lorsqu’il sortit du coma (c’était une très grosse pomme comme seuls ses petits prétentieux d’anglais savent en faire pousser pour préparer leurs délicieux crumbles), lui donna l’idée de sa célèbre loi de la gravitation universelle dont les effets spectaculaires font, encore de nos jours, l’admiration des parachutistes distraits au moment où ils s’aperçoivent, mais un peu tard, que c’est leur sac de piscine qu’ils ont sur le dos, ou des traders consciencieux découvrant, dans leur bureau vitré du quarante-cinquième étage, l’inexorable survenue d’un massif krach boursier imprévu. Mais qui se souvient encore qu’avant Newton, sans loi de la gravitation, il n’y avait pas d’attraction terrestre ? Sans attraction terrestre, pas de pesanteur, pas de verticale du lieu et donc pas de chute. Pas de chute aux histoires d’EarlySoon (l’homologue britannique de Toto), pas de chute de reins et pas non plus de chute dans l’escalier. Les gens ne tombaient pas. Ni de leur chaise, ni malades, ni dans les pommes, ni sur un os, ni des nues, ni sous le charme, ni, a fortiori, amoureux. A l’époque, lorsque vous croisiez un ami auquel vous trouviez un air singulièrement crétin avec son ridicule sourire débile aux lèvres et son regard dégoulinant de niaise béatitude, il ne vous disait pas « je suis tombé amoureux de Truc ou de Machine » mais « j’ai diné avec Truc ou Machine hier soir et je me demande si mon crumble était bien frais parce que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit ». C’était peut-être moins glamour mais au moins les gens ne vous bassinaient pas avec leurs assommantes histoires à la noix sur Truc qui est si fabuleusement charmant et amusant, ou Machine qui est si merveilleusement désopilante et séduisante. Et voilà que ce con de Newton se dit, comme ça : « Pourquoi pas que deux corps ponctuels de masses respectives Truc et Machine pourraient pas s’attirer avec des forces vectoriellement opposées et de même valeur absolue qui si ça se trouve serait proportionnelle au produit des deux masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare et même que ce serait trop marrant si ces deux forces opposées avaient pour axe commun la droite passant par les centres de gravité de ces deux corps. Hein les potes, qu’est-ce que vous en dites ? » On en dit que, d’abord, nous ne sommes pas tes potes, ensuite que nous étions bien plus tranquilles avant, Môssieur Newton. Avant que vous ne veniez semer la pagaille dans notre jardin d’Eden. Peinards comme Adam avant qu’Eve ne lui tourneboule tous les sens en lui faisant croquer le fruit défendu. Et c’était quoi, le fruit défendu ? Une pomme. Comme par hasard. Il y a quand même un moment où il va peut-être falloir arrêter de prendre les gens pour des abrutis, non ?