Pasteur

Un jour que Louis Pasteur, l’inventeur de l’institut du même nom, était sorti pour acheter une bonne baguette de pain, bien croustillante et moelleuse à la fois, à la boulangerie du bout de la rue, il rencontra un bien étrange personnage qui lui tint à peu près ce langage : « Holà môssieur du bourgeois, où courrez-vous ainsi ? Et que cachez-vous donc au fond de votre popoche ? » Le type était des plus costauds, avec deux yeux féroces plantés au milieu d’un visage aussi furieusement orangé que celui d’un bébé dont le régime alimentaire présenterait une proportion excessive de carottes et un gros bâton balançant au bout d’un bras extraordinairement musculeux qui trouvait son jumeau de l’autre côté d’un torse aussi trapu que velu. Plus encore que cette apparence générale, l’obstination avec laquelle il fixait son regard rogue sur sa victime laissait supposer que ses intentions n’étaient pas toutes amicales. Le goût du savant pour le combat de rue n’étant pas plus prononcé que son attirance pour la lutte au corps à corps, Pasteur tenta d’abord de passer son chemin comme si de rien n’était mais une brusque et vigoureuse saisie au colbaque, assortie d’un bourre-pif qui ne l’était pas moins, le détournèrent bien malgré lui de ses intentions premières en le contraignant à prolonger son entrevue avec son robuste assaillant. Il eut beau protester et pester, la brute énorme le secoua, le bringuebala et le retourna en tous sens jusqu’à ce que le pauvre homme se trouva délesté de la plus petite pièce de monnaie qui traînait dans les recoins de sa redingote désormais affreusement tirebouchonnée. Puis le brigand, satisfait, tourna les talons et, emportant son butin au bistrot du coin en même temps que la baguette pas trop cuite sous son bras tatoué, s’éloigna sans le moindre mot de remerciement. Rentré chez lui, le nez en sang et la fierté en berne, Pasteur accompagna son diner de biscottes desséchées et de marmonnements contrariés. Il est dit que c’est à cette occasion qu’il prit la décision de prouver au monde incrédule que la fermentation était due à des organismes vivants auxquels, bien des années plus tard, il donna le nom de microbes.